Par Aude Brejon, le 2 décembre 2021
La Cour pénale internationale (CPI) a signé le 11 octobre 2021 un accord relatif à l’exécution de ses peines avec la France. L’exécution des peines prononcées par la CPI ayant été dès le départ confiée aux États, la régulation internationale a été réduite à son minimum. Les condamnés de la CPI n’exécutent pas leur peine dans une prison spécifique. En effet, la prison de Scheveningen, à proximité de la Cour, n’accueille les détenus qu’en détention provisoire ou par défaut. L’article 103-1-a du Statut de Rome, signé par la France en 18 juillet 1998 et ratifié le 9 juin 2000, prévoit en effet que les condamnés par la CPI à des peines de prison soient incarcérés dans les établissements pénitentiaires des États membres inscrits sur une liste établie au préalable par le Président de la Cour (Règle 200 du règlement de procédure et de preuve). L’inscription sur cette liste ne relève ni de la seule volonté de l’Etat ni de celle de la Cour. Elle est la résultante d’accords visant à établir les droits et devoirs de l’auteur de la décision d’incarcération, la CPI, et de la partie chargée d’exécuter la peine, l’État. Il y a donc matière à s’interroger lorsque la France prend l’engagement d’accueillir les auteurs de crimes de droit international, compte tenu de son attitude protectionniste à l’égard de son pouvoir de décision en matière pénale. Certes, l’accord signé par la France participe aux efforts de la CPI pour construire un droit de la détention conforme au Statut. Il démontre surtout l’attitude demeurée ambivalente de la France vis-à-vis de la Cour. Entre débuts chaotiques et revirements de comportement des États, l’évolution de l’exécution des peines prononcées par cette Cour est digne d’une pièce de théâtre baroque, susceptible de désarçonner ses spectateurs.
ACTE I : La construction d’un droit de la détention conforme au Statut
Le premier acte de cette pièce met en place un décor dépouillé des contraintes classiques du droit international pénal. Dès les travaux préparatoires, les débats concernaient plus le caractère exécutoire des peines prononcées par la CPI dans les systèmes internes que la mise en place d’un droit effectif de l’exécution des peines. Surtout, derrière cette question s’en cachait une plus importante, celle de l’étendue de l’autonomie de l’Etat dans la mise en œuvre des décisions de condamnation de la Cour. Il a résulté de ces négociations un pouvoir discrétionnaire étatique largement protégé. Ce maintien à l’écart de la norme internationale n’a pourtant pas séduit les États les plus réticents à la CPI, puisque dans leur grande majorité, seuls les États favorables à la Cour ont fait acte de candidature. Certains d’entre eux ont tout de même imposé des limites à leur acceptation préalable (V. par exemple, l’article 53 de la Loi fédérale sur la coopération avec la Cour pénale internationale (LCPI) du 22 juin 2001). Si d’ordinaire, la justice pénale internationale évolue dans un cadre stable, un revirement majeur a eu lieu à l’occasion des premières affaires traitées par la CPI (affaires Lubanga et Katanga). La Présidence de la Cour avait littéralement bondi sur l’occasion que lui offrait la République démocratique du Congo d’accueillir les deux accusés au sein de son système carcéral, bien que cet Etat ne figurât pas sur la liste au moment du prononcé de la peine (Ad Hoc Agreement Between the Government of the Democratic Republic of the Congo and the International Criminal Court on Enforcement of the Sentence of the International Criminal Court Imposed on Mr Germain Katanga, 9 décembre 2015). Cette opportunité de renvoyer les condamnés dans leur pays d’origine semblait la plus adéquate mais aussi la plus simple face à une liste désespérément vide. Conscients que ce sauf-conduit était peu susceptible de se reproduire, la CPI a lancé une campagne d’inscription sur la liste dans le but de respecter la procédure de l’article 103. L’accord signé par la France fait partie de cette tentative de mise en conformité. Depuis, les accords ont été harmonisés malgré certaines différences notables, au rang desquelles se trouve le degré de pouvoir discrétionnaire de l’État hôte concernant l’accueil des condamnés de la CPI.
ACTE II : L’attitude déconcertante de la France à l’égard de la CPI
Le second acte introduit un personnage principal inconstant dont le comportement s’illustre par de maintes contradictions et revirements. La France a toujours fait montre d’une attitude paradoxale à l’encontre de la CPI, malgré le « soutien indéfectible de la France » qu’elle est supposée apporter selon le Garde des Sceaux français, Éric Dupond-Moretti. Dès les négociations du Statut de Rome, la France a plutôt fait partie des opposants à la Cour. Cette opposition était le fait des craintes concernant ses militaires. En a résulté une réserve de sept ans sur l’entrée en vigueur du Statut de Rome (Article 124 du Statut de Rome). Même lorsque celui-ci est finalement entré en vigueur, la France a persisté dans une attitude de défiance face à la Cour. En attestent les accusations d’entrave à l’indépendance de la Cour à l’égard de la France dans l’affaire Gbagbo par des experts (V. Morten Bergsmo, « La CPI, l’affaire Gbagbo et le rôle de la France », Le Monde, 18 janvier 2019). Dans le même temps, elle a toujours joué un rôle clé dans son développement. Ainsi, elle a soutenu la coalition d’ONG ainsi que la candidature de l’ancienne Procureure Fatou Bensouda. Elle a également participé par l’entremise de ses experts à la consolidation de la légitimité de la Cour. Pourtant, son soutien s’est arrêté aux portes de l’exécution des peines. Si la France figure désormais sur la liste des Etats hôtes, elle ne compte pas apporter un soutien au détriment de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’exercer sa compétence pénale, corollaire de sa souveraineté. L’article 103-1-c conditionne la réalisation de l’accueil du condamné à l’accord de l’Etat hôte. La France ne fait donc pas figure d’exception parmi les Etats inscrits sur la liste. En revanche, l’insistance de la France sur cette condition d’acceptation indique que l’accord qu’elle a signé fait partie des plus protecteurs (v. Agreement between the International Criminal Court and the Government of the Republic of Finland on the Enforcement of Sentences of the International Criminal Court , 24 April 2011). Certes, l’accord n’est pas encore rendu public. Il serait donc malvenu de présumer de son contenu. Cependant, l’ensemble des Etats qui ont souligné la condition potestative ont prévu des garanties très protectrices de leur autonomie en matière d’exécution des peines. Rien n’indique que la France suivra un autre chemin. Par conséquent, il est peu probable qu’elle soit sollicitée d’autant que la France fait face aujourd’hui à une situation de crise en matière carcérale. Récemment condamnée pour défaut structurel de son système pénitentiaire par la Cour européenne des droits de l’homme (V. CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c. France, n° 9671/15 et 31 autres), la France est en pleine rénovation de son parc pénitentiaire (V. « Plan immobilier pénitentiaire – 15000 places »). Signer un accord relatif à l’exécution des peines prononcées par la CPI dans ces conditions indique que la France est pleinement consciente qu’elle ne sera pas sollicitée avant longtemps par la Cour. En d’autres termes, l’attitude désinvolte de la France dans la conclusion de cet accord accompagné de son attitude antérieure plus qu’équivoque vis-à-vis de la CPI la propulse sur le devant de la scène en tant que personnage principal de cette pièce pleine de rebondissements, caractéristique du théâtre baroque. En tout état de cause, le rôle qu’elle a endossé ne rassure pas quant à la mise en œuvre future de cet accord.
ACTE III : Un accord à la mise en œuvre douteuse
Le dernier acte présente un rebondissement dont le dénouement risque de relever de l’illusion. Le système pénitentiaire français est loin de pouvoir satisfaire à l’alinéa b de l’article 103-3 lequel donne des lignes de conduite pour guider la Présidence de la Cour dans ses décisions de placement en détention dans un État hôte. La surpopulation carcérale dont souffre le système pénitentiaire français place la France dans une position délicate quant aux « règles conventionnelles du droit international généralement acceptées qui régissent le traitement des détenus ». Il est vrai que les travaux préparatoires limitent la portée de ces règles au rang d’indications pour la prise de décision de la Présidence. Néanmoins, une autre condition risque de mettre en péril la mise en œuvre de cet accord : le contrôle obligatoire de l’exécution de la peine par le CICR. Sauf à rendre public une situation carcérale fortement dégradée, il est peu probable que la France laisse cette association indépendante de tout État pénétrer dans ses cellules. En outre, à quelques mois d’une élection présidentielle qui s’annonce mouvementée, l’accueil de criminels de droit international sur le sol français risque de susciter des troubles à l’ordre public. Dès lors, cet accord semble plutôt remplir un rôle d’encouragement pour les autres Etats à s’inscrire sur la liste plutôt que d’assurer une peine efficace.
Le rappel de Calderon, auteur phare du théâtre baroque se prête parfaitement à la pièce qui se joue actuellement : « qu’il s’agisse du réel ou d’un songe, l’essentiel est de bien agir. Parce que c’est la vérité, ou, sinon, pour se gagner des amis à l’heure du réveil » (La Vie est un songe, Calderón de la Barca (trad. Michel Truffet), éd. Librio, 1996, p. 72). Quelle que soit l’effectivité de cet accord, la France et la CPI devront agir dans le respect de la lutte contre l’impunité. Faute de quoi, elles risquent toutes les deux de manquer d’amis au réveil.