ThucyBlog n° 212 – De la diplomatie d’inclusion à la diplomatie d’exclusion

Crédit photo : Kremlin (licence CCA)

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Par Guillaume Berlat, le 28 avril 2022
Pseudonyme d’un ancien diplomate

Le diplomate offre à la raillerie une cible privilégiée. Du portrait du marquis de Norpois dressé par Marcel Proust à celui de l’ambassadeur Ferrero Rocher de la publicité pour les réceptions diplomatiques, les croquis ne manquent pas. Mais, ceci nous éclaire peu sur la nature de sa fonction, la diplomatie. Si l’on parle de la diplomatie, comme d’une activité de représentation, d’information et de négociation, on estime qu’elle a été présente dans toutes les sociétés, à partir du moment où elles ont commencé à interagir. Elle est ce que la civilisation a imaginé de mieux pour empêcher la force de présider seule aux rapports internationaux. Elle constitue un mélange subtil consistant à travailler pour le meilleur mais à se préparer pour le pire. L’essence de la diplomatie, c’est avant touche chose la croyance en la vertu du dialogue. Accepter de parler avec l’autre (y compris son pire ennemi), de tenter de le comprendre (ses motivations), de le convaincre pour explorer les voies possibles d’un compromis équilibré par la voie de la négociation. La diplomatie est l’art de concilier des intérêts divergents, pour reprendre la formule d’Henry Kissinger. Ne dit-on pas que la meilleure diplomatie consiste à suivre son chemin, tout en laissant l’autre raisonnablement satisfait ? Encore faut-il – même si cela relève d’une vérité d’évidence – associer l’autre au mécanisme (bilatéral ou multilatéral) propre à obtenir le résultat recherché. Cela s’appelle une diplomatie d’inclusion prometteuse pratiquée durant et après la fin de la Guerre froide. Or, celle-ci est de plus en plus remise en cause, pour des raisons morales, au profit d’une diplomatie d’exclusion mortifère.

La diplomatie d’inclusion ou la realdiplomatie

Une bonne diplomatie doit pouvoir anticiper les conflits. Non les subir comme c’est trop souvent le cas de nos jours (Cf. la crise ukrainienne), après une phase de sidération. Sa priorité consiste à construire la confiance et non à ériger la défiance par le blâme, l’anathème, l’invective. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Telle est la devise de tout diplomate qui se respecte. Celle dont le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères devrait s’inspirer, lui qui multiplie à l’envie les saillies et jugements à l’emporte-pièce sur les crises au Mali et en Ukraine. On ne le répétera jamais assez, travailler au renforcement de la paix et de la sécurité internationales, c’est, d’abord et avant tout, favoriser un dialogue entre États, exigeant mais prometteur. C’est ensuite créer les conditions indispensables de la construction de la confiance en bannissant l‘humiliation gratuite du concurrent, du rival, de l’adversaire, de l’ennemi. C’est enfin, grâce aux outils et à la technique diplomatique, traiter les maux par des mots et non par la violence, voire la guerre. Ainsi, sont réunies les conditions de la préparation de l’avenir côte à côte et non face à face comme c’est trop souvent le cas au XXIe siècle. En diplomatie, comme dans tous les arts, l’exécution importe souvent plus que la conception. Ce que nos dirigeants ont trop tendance à perdre de vue. Un trait de caractère du diplomate est de jouer sur le temps. Soit pour l’accélérer, soit pour le freiner suivant les circonstances afin de parvenir au but recherché. C’est cette diplomatie de l’inclusion ouverte qui a été pratiquée, avec un certain succès, avant et après la fin de la Guerre froide au XXe siècle. Pour s’en persuader, il suffit de se référer à l’écheveau de traités, d’accords, de documents conclus dans la sphère de la maîtrise des armements, du désarmement et de la non-prolifération. En un mot, on privilégiait la voie du dialogue permanent (celle de la diplomatie inclusive) à celle de la marginalisation moralisatrice (celle de la diplomatie exclusive). Particulièrement bien inspiré le 25 février 2022, l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy résume parfaitement la problématique de la guerre et de la paix en Ukraine lorsqu’il déclare : « la seule voie possible est la diplomatie, car l’alternative à la diplomatie c’est la guerre totale… La voie du dialogue, de la diplomatie est difficile, souvent décevante, mais il n’y a pas d’alternative ». On ne saurait mieux dire pour résumer notre propos.

Depuis plus d’une décennie, les Occidentaux semblent avoir abandonné ce chemin prometteur de l’inclusion pour lui préférer l’impasse de l’exclusion.

La diplomatie d’exclusion ou l’antidiplomatie

Comme le souligne justement l’ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas « en matière diplomatique le contact direct est toujours préférable à l’esquive ». Tel n’est pas le chemin suivi aujourd’hui par les principales chancelleries occidentales (États-Unis, États membres de l’Union européenne et principales structures de l’institution, OTAN…) dans l’approche des graves crises qui secouent le monde. Nous pensons en priorité à la relation avec la Russie. Quelles sont les mots qui reviennent le plus souvent dans leur discours, y compris les plus récents : agression, « acte criminel insensé », dénonciation, condamnation, sanction (nécessaires mais pas toujours suffisantes), marginalisation, exclusion … ? La Russie envahit la Crimée en 2014. Que s’empresse de faire nos bons samaritains moralistes ? Ils l’excluent du G8, la suspendent des travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), mettent en sommeil les activités du Conseil OTAN-Russie… sans parler de la mise en place de sanctions dont l’expérience acquise démontre les limites. Elles sont souvent un aveu d’impuissance.

Cette situation ubuesque débouche sur un paradoxe. Au moment où l’on a le plus besoin de multiplier les canaux de dialogue, d’échanges, on les ferme avec bonne conscience, oubliant la vertu cathartique de la discussion, du débat, de la confrontation d’idées. En lieu et place de travailler à la paix par la coopération, on renforce l’opposition par la confrontation, verbale ou armée. Et l’on s’étonne d’être entraîné dans des guerres et de réclamer, lorsqu’il est déjà trop tard, le recours au dialogue, à la médiation, à la négociation, à la diplomatie… souvent sous la contrainte du plus fort.

La Russie envahit l’Ukraine en 2022. L’Histoire s’emballe comme un cheval fou. On déploie aussitôt la panoplie des anathèmes, des invectives, des exclusions (Conseil de l’Europe, concours de l’eurovision, UEFA, FIFA, coupe du monde de football …), des sanctions avant même d’avoir donné sérieusement toutes ses chances à la diplomatie. Et, paradoxe des paradoxes, l’on sera contraint de revenir à la voie de la négociation (Cf. rencontre d’Antalya) lorsque la guerre aura épuisé ses charmes, surtout pour les civils innocents. Et quelles seront les bénéfices retirés par les Occidentaux et l’Ukraine par rapport à une négociation pré-conflit ? Bel exemple de recette de l’échec dans la sphère de l’international ! La diplomatie inclusive ne constitue-t-elle pas le chemin de crête étroit entre « cynisme et réalisme » pour reprendre la célèbre formule de Raymond Aron ?

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À force d’oublier l’Histoire, les Occidentaux sont en train d’en sortir. À trop transformer la géopolitique en discipline manichéenne, ils sont marginalisés par les autocrates. À trop confondre diplomatie et morale, ils démontrent leur impuissance. À trop se laisser griser par les sirènes de la diplomatie de la place publique, ils en oublient les vertus de la diplomatie de l’ombre. Au moment où l’on évoque un basculement de l’Histoire, le temps n’est-il pas venu de tirer les conséquences de l’épuisement du multilatéralisme (ONU, OTAN, Union européenne, G7, G20…) imaginé au XXe siècle ? Gouverner, c’est prévoir. Avec sa tradition de passeuse d’idées, la France ne devrait-elle pas proposer les linéaments d’un nouveau multilatéralisme universel complété par une architecture européenne de sécurité et de confiance (idée avancée par Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine à Brégançon le 19 août 2019) pour le XXIe siècle ? Elle pourrait être l’architecte d’un nouvel équilibre mondial. N’apprendrons-nous jamais de nos erreurs au moment où nous changeons de paradigme, où la situation internationale risque de déraper ? Combien de conflits auraient pu être évités par le recours à une diplomatie préventive à l’ancienne, pétrie de la complexité de l’Histoire et de la fragilité des relations internationales dans un contexte de crise structurelle du multilatéralisme ? À l’heure où certains redécouvrent que l’Histoire est tragique, il importe de réfléchir aux vertus de la diplomatie traditionnelle de l’inclusion et aux menaces que fait courir la diplomatie d’exclusion à la planète.