ThucyBlog n° 211 – Guerre en Ukraine : Un renouveau de la théorie de levée en masse ? (3/3)

Crédit photo : présidence ukrainienne (domaine public)

Partager sur :

Par Alexandra Grangien, le 25 avril 2022

Lire le début (Partie 1/3) ou la partie précédente (Partie 2/3)

Mouvements de résistance/milices/corps de volontaires

La Convention de Genève III de 1949 prévoit que, outre les forces armées régulières d’une Partie au conflit, des combattants irréguliers, notamment les mouvements de résistance organisés appartenant à une Partie au conflit, des milices, ou des corps de volontaires (article 4.A.2) CG III), se voient attribuer le privilège de combattant. Ils peuvent donc bénéficier des règles relatives aux prisonniers de guerre, après leur capture. Toutefois, ils ne pourront bénéficier du statut de prisonnier de guerre et de ses règles protectrices que s’ils répondent à 4 exigences :

  • Avoir à leur tête un commandement responsable ;
  • Avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ;
  • Porter ouvertement les armes ;
  • Se conformer aux lois et coutumes de la guerre.

Il convient, par ailleurs, de remarquer l’importance de l’expression « appartenant à ». En effet, ces milices, corps de volontaires ou mouvements de résistance, ne peuvent rentrer dans le cadre des stipulations de la Convention que s’ils appartiennent à une partie au conflit. Dans le cas contraire, ils seront considérés comme des civils participants aux hostilités et ne bénéficieront donc d’aucune protection. Ce concept d’appartenance exige au moins une relation de facto entre le groupe en question et une partie au conflit. Cette relation peut être officiellement déclarée ou être exprimée par un accord tacite ou encore par un comportement qui indique clairement pour quelle partie au conflit le groupe combat[1].

La situation sur le terrain semble plutôt indiquer que l’implication des civils dans le conflit relève plutôt de la qualification d’un mouvement de résistance organisée telle que prévue à l’article 4.A.2) CG III. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, un nombre important de civils ont rejoint les Forces de Défense Territoriale. Ceux d’entre eux qui ont une expérience militaire sont immédiatement intégrés dans des unités, tandis que ceux qui n’en ont pas suivent une formation accélérée[2]. Dans les premiers jours de la guerre d’invasion, de nombreuses sources ont fait état de lignes de plusieurs heures devant les bureaux de conscription. Face à un tel afflux de volontaires, les FDT se sont retrouvées saturées au point qu’elles conseillent aux volontaires qu’elles ne peuvent pas intégrer dans leurs rangs de se constituer en petit groupes d’une dizaine de combattants et de se choisir un commandant par unité[3].

Ces groupes paramilitaires, peu importe qu’on les qualifie de mouvement de résistance, de groupes de volontaires ou milices, peuvent être considérés comme appartenant à une partie au conflit, en l’occurrence l’Ukraine. En effet, la loi sur la Résistance Nationale, entrée en vigueur le 1e janvier 2022, prévoit clairement un cadre pour la conscription des civils dans les FDT qui sont placés sous la tutelle du Ministère de la Défense, ou dans d’autres groupes paramilitaires de résistance armée. Par ailleurs, de nombreuses sources permettent de constater que bien que ces volontaires portent souvent leurs habits de civils, et occasionnellement leurs propres vêtements de camouflage, mais portent tous un brassard jaune comme signe distinctif[4]. Ainsi, tous les éléments exigés par l’article CG III sont respectés par ces groupes : un commandement responsable, le port d’un signe distinctif visible à distance, porter ouvertement les armes et sous réserve du respect des lois et coutumes de la guerre.

Il en résulte que, ces civils volontaires ayant rejoint les Forces de Défense Territoriale tombent sous le coup de l’article 4.A.2) CG III et bénéficient à ce titre du statut de combattant et s’ils sont capturés, des règles sur les prisonniers de guerre.

Civils participants aux hostilités

Qu’en est-il de ces civils qui n’ont pas rejoint les FDT et qui conduisent des actions contre les forces russes ? On peut distinguer deux situations : les civils qui conduisent des actes d’hostilité, et les civils qui participent à l’effort de guerre en arrière-ligne.

D’une part, dans les premiers jours qui ont suivi le début des hostilités, il a été fait état de quelques cas de civils menant des actions pour ralentir l’avancée des troupes russes. Il semble qu’en accord avec les règles du droit international humanitaire, ils perdent leur immunité de civils pendant toute la durée de leur participation aux hostilités comme le prévoit l’article 51.3. PA I. Mais qu’entend-on exactement par la notion de participation aux hostilités ? Selon le guide du CICR sur la notion de participation aux hostilités, trois conditions cumulatives sont exigées. Premièrement, un certain seuil de nuisance doit être susceptible de résulter de l’acte. Pour atteindre le seuil de nuisance requis « un acte spécifique doit être susceptible de nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie à un conflit armé »[5]. Il peut aussi s’agir d’un acte de nature à causer des pertes de vie humaines, de blessures, de destruction à des biens ou des personnes protégées[6]. Ensuite, il doit exister un rapport de causalité directe entre les actes en question et les effets nuisibles attendus. Enfin, il doit exister un lien de belligérance entre l’acte et les hostilités conduites par les parties au conflit.

Au vu de la marginalité des rapports de civils menant des actes contre les forces russes, il ne semble pas que des actions telles que le fait de faire usage de son corps pour bloquer le passage de tanks, ou la destruction de panneaux signalétiques, puissent s’élever au niveau de participation aux hostilités.

D’autre part, de nombreux civils, en particulier des femmes, se sont organisés de façon similaire à la révolution Maïdan pour assurer le soutien logistique aux forces armées régulières et aux volontaires des FDT, en arrière-ligne[7]. Ces civils préparent à manger, effectuent des soins de premier secours, confectionnent des cocktails molotov, confectionnent des tissus de camouflage, distribuent des biens de première nécessité et des vêtements ou confectionnent des obstacles à installer sur des checkpoint. Ils ne participent donc pas aux hostilités au sens de PA I et gardent donc leur statut de civil même lorsqu’ils participent à cet effort de guerre en arrière-ligne.

[1] Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire, CICR, octobre 2010, pp. 25-26.

[2] Ukraine : A Odessa la population prend les armes, Guillaume Ptak, les Echos, 14 mars 2022.

[3] Everybody in our country needs to defend, Andrew E Kramer, New York Times, 26 février 2022.

[4] Everybody in our country needs to defend, Andrew E Kramer, New York Times, 26 février 2022 ; Les civils ukrainiens appelés à prendre les armes pour defender leur capitale, 26 février 2022, Rfi.

[5] Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire, CICR, octobre 2010, pp. 48-49.

[6] Ibid.

[7] Guerre en Ukraine : « Beaucoup de femmes ont choisi de rester et de s’engager », Anastasia Fomitchova, L’express, 9 mars 2022.