Thucyblog n°274 – Afrique-France : Divorce ou réconciliation ?

Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi, 4 mars 2023, licence CCA

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Par Guillaume Berlat, le 15 mars 2023

« Le temps de la Françafrique est révolu : il y a la France, il y a l’Afrique, il y a le partenariat entre la France et l’Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité » (François Hollande, Dakar, 12 octobre 2012). L’histoire des relations entre l’Hexagone et le continent africain, ne serait-elle qu’un éternel recommencement ? Nous aurions tendance à le penser à la lumière du passé mais, aussi et surtout, du présent. Avant son déplacement dans quatre États (Gabon avec co-organisation du « One Forest Summit », Angola, Congo Brazaville et République démocratique du Congo) du 1er au 4 mars 2023, Emmanuel Macron présente, le 27 février 2023 à l’Élysée, sa vision d’avenir de la relation entre Paris et le continent : « Notre futur – Le Partenariat Afrique-France ». Se substitue-t-elle ou complète-t-elle son discours – présenté en son temps comme refondateur de la relation – du 28 novembre 2017 à Ouagadougou (« Je ne suis pas venu vous dire quelle est la politique africaine de la France car il n’y a plus de politique africaine de la France ») ? L’action de la France fait l’objet d’une double contestation par l’Afrique. Cette situation résulte d’une double méprise sur ce continent.

LA DOUBLE CONTESTATION DE LA FRANCE PAR L’AFRIQUE

Comme souvent les critiques portées par les États africains sur la politique françaises additionnent celles qui sont de nature conjoncturelle à d’autres plus structurelles.

Des critiques conjoncturelles : l’air du temps

Au cours des derniers mois, à la faveur de l’extension géographique de la contestation de la présence française en Afrique de l’Ouest (vent de révolte parti du Mali) amplifiée par la question de l’action de la milice russe Wagner sur l’ensemble du continent, le problème récurrent de l’avenir de la Françafrique est de nouveau posé en termes crus. Partir ou rester dans un autre cadre ? Il contraint le président de la République à réagir dans l’urgence et la précipitation.  Alors que le fossé ne fait que grandir avec la France et que l’insécurité grandit, le Burkina Faso dénonce le 1er mars l’accord de défense bilatéral datant de 1961, un constat s’impose. La France n’est plus la bienvenue dans la zone. Elle est accusée de tous les maux, réels ou fantasmés, du continent : insécurité, terrorisme, corruption, mauvaise gouvernance, problèmes économiques, financiers, sociaux, démographiques, religieux, ethniques, climatiques, sécheresse, ingérence, paternalisme … En un mot comme en cent, s’inspirant de l’exemple malien, les Africains réclament une véritable indépendance par rapport à l’ancien colonisateur. Cette stigmatisation actuelle, souvent excessive, comporte en réalité des causes plus profondes

Des critiques structurelles : la rente mémorielle

D’une manière générale, cette troisième décennie du XXIe siècle correspond à une crise du multilatéralisme et à un échec de la mondialisation. La guerre en Ukraine bouleverse l’ordre mondial. C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser la fragilisation de la France sur le continent africain. Le sentiment antifrançais, qui se répand aujourd’hui comme une traînée de poudre, constitue le point d’aboutissement d’un long processus marqué au sceau d’une certaine forme d’aveuglement sur la réalité africaine au XXIe siècle. Rejet du paternalisme, d’une aide au développement inadaptée, des leçons sur la démocratie, l’état de droit et les droits de l’homme, de l’appui à des régimes corrompus et autoritaires, d’une présence militaire durable (Barkhane), La guerre en Libye – voulue en grande partie par Nicolas Sarkozy – déstabilise le pays, le Sahel avec l’implantation de réseaux terroristes et l’émergence d’une crise migratoire sans précédent. Par ailleurs, la France perd sa prééminence incontestée sur le continent africain. D’autres acteurs nous évincent lentement mais sûrement : Chinois, Russes, Turcs pour ne citer que les plus actifs et les plus agressifs économiquement et militairement. En avons-nous tiré suffisamment tôt les conséquences qui s’imposaient ?

Cette conjonction de critiques devrait immanquablement conduire à interroger la cécité de nos dirigeants successifs depuis les indépendances de tous ces États.

LA DOUBLE MÉPRISE DE LA FRANCE SUR L’AFRIQUE

Faute de porter un diagnostic pertinent sur l’état de sa relation avec l’Afrique, la France ne cesse d’apporter des réponses inadaptées aux problèmes posées.

Des réponses inadaptées : le miroir aux alouettes

Au cours des décennies écoulées, la France n’a jamais pris le temps de se livrer à une réflexion stratégique de sa relation future avec l’Afrique avec la mise au point d’un Livre blanc alors que ses parts de marché ne cessent de chuter. Son action se résume à une suite de mesures de circonstances, annoncées à grand renfort de tam-tam médiatique, lors de visites présidentielles sur le continent, de sommets France-Afrique transformés en sommets Afrique-France ouverts à la société civile, de conférences internationales (comme celles des donateurs) … souvent pas ou peu suivies d’effets. L’accumulation d’annonces ponctuelles au fil de l’eau n’a jamais été le gage d’une politique étrangère audible et crédible. À titre d’exemples, à Libreville le 2 mars 2023, il proclame que l’ère de la Françafrique est « révolue » et que la France se veut « neutre » et à Kinshasa le 4 mars 2023, il décrète que : « La RdC ne doit pas être un butin de guerre ». Sommes-nous plus avancés dans notre compréhension du problème ? Rien ne semble anticipé, le fameux gouverner, c’est prévoir. Tout semble improvisé. Nous n’avons pas pris conscience du fait que, pour les Africains, le conflit ukrainien est une « guerre de Blancs » qui emporte deux sortes d’effets négatifs. Le premier est l’aggravation d’une situation alimentaire déjà très précaire à travers la politique de sanctions imposées à la Russie. Le second est le détournement de fonds importants vers l’Europe orientale qui, selon nos partenaires, auraient dû être dévolus au continent africain. Nombreux ont été les États africains à s’abstenir lors des votes par l’Assemblée générale de l’ONU de condamnations de la Russie. L’inadaptation du diagnostic explique l’inefficacité des réponses.

Des réponses inefficaces : le retour de l’Arlésienne

Force est de constater que la présentation par Emmanuel Macron de sa nouvelle démarche africaine (27 février 2023) laisse sur sa faim en dépit de sa « cascade rhétorique ». Une impression de déjà-vu prévaut. On peine à trouver les linéaments d’une politique étrangère structurée autour de quelques axes clairs accessibles au commun des mortels se déclinant en une diplomatie simple. Chez le chef de l’État, l’accessoire l’emporte sur l’essentiel, le bon mot prévaut sur la décision claire. On reste coi en entendant : « Le moment est venu de faire un choix et de savoir quel rapport nous voulons entretenir avec les pays africains ». Le concept de « partenariat » est aussi vieux que la Ve République. Que signifie « une présence militaire moins visible » ? Il s’agit de formation, d’équipement, de fourniture de renseignement, de bases « à vocation régionale ». Nous sommes comblés de savoir que le président de la République s’engage à restituer les biens pillés. Sa répétition du terme « humilité » ne convainc guère. Pas plus que l’affirmation appuyée des expressions : « bâtir un partenariat équilibré », « porter des causes communes », « ni un retrait, ni un désengagement », « passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement », « promouvoir une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable ». Bel exemple de diplomatie incantatoire ! Ne faudrait-il pas se concentrer sur des programmes concrets de coopération à travers des plans coordonnés associant secteur public et privé ? Ne faudrait-il pas inscrire notre action sur le long terme en symbiose avec celle de l’Union européenne ? Ne faudrait-il pas repenser la nature, la durée de nos OPEX ?  Au terme de ce périple d’Emmanuel Macron, la question la plus importante demeure pendante : pour quoi faire ? La réponse n’est guère aisée au vu des déclarations publiques du président de la République.

LA FIN DES ILLUSIONS

« Le plus grand ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais plutôt l’illusion de la connaissance » (Stephen Hawking). En mal d’explication à la veille d’une tournée à risques, son entourage vante les immenses mérites du nouveau logiciel africain du chef de l’État fondé sur le respect, la discrétion, la redéfinition de notre dispositif militaire. Coup de com’ ou coup de génie ? Il est encore prématuré pour l’affirmer tant les six décennies écoulées n’ont pas été à la hauteur des défis à relever. Nous avons la faiblesse de penser que cette démarche vient confirmer l’actualité de la fameuse réplique de Tancrède dans le film Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Toujours est-il que la conjugaison de la « pensée complexe » d’Emmanuel Macron avec sa diplomatie du en même temps jette un doute profond sur la réalité concrète de ce changement de paradigme annoncée après tant d’années d’illusions et de fantasmes sur notre relation avec l’Afrique ! Force est de constater que le président de la République se paie souvent de mots dans le traitement des maux, agit en tacticien et pas en stratège. Gageons que les choses prennent un tour imprévisible, infirment notre analyse et que les raisons d’espérer prennent enfin le pas sur le pire. Seul l’avenir nous dira si cette dernière tournée d’Emmanuel Macron constitue la première étape d’un divorce ou ouvre la voie à une réconciliation durable dans la relation Afrique-France.