ThucyBlog n° 89 – Côte d’Ivoire, élection présidentielle 2020 : Chroniques d’un hold-up (im)prévisible (2/3)

Partager sur :

Par Tawa Netton Prince, le 16 décembre 2020 

Lire la partie précédente (1/3)

Les vices du processus électoral

L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire connaît une tonalité toute particulière en raison du manque de consensus des parties prenantes à toutes les étapes de la phase pré-électorale.

Sur l’organisation et la composition de la Commission électoral indépendante, une requête a été portée par le PDCI devant la CADHP[1]. La décision des juges de la Cour a semblé donner raison aux opposants qui réclamaient une CEI consensuelle et impartiale en ordonnant à l’État ivoirien d’organiser de nouvelles élections dans les commissions électorales locales avant la tenue de la présidentielle. « La Cour a constaté que l’État défendeur n’a pas pleinement respecté les articles 17 de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance (la CADEG) et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et, par conséquent, a violé ces dispositions. Par ce motif, elle a ordonné à l’État défendeur de prendre les mesures nécessaires pour garantir que de nouvelles élections du Bureau fondées sur la nouvelle composition de l’organe électoral soient organisées aux niveaux locaux[2]». Reconnaissant l’autorité de cet arrêt, l’Etat de Côte d’Ivoire procéda à une exécution minimaliste et superficielle de cette décision. Ces comportements ne suffirent pas à infléchir la volonté de l’opposition d’obtenir l’impartialité de la Commission.

Par la suite, l’opération de révision de la liste électorale avec l’enrôlement de nouveaux électeurs qui devait rassurer les plus optimistes a également fait l’objet de contestation par l’opposition. Cette contestation, à l’instar de celle relevée ci-dessus, ne fut pas réglée. Les opposants ont d’abord dénoncé la décision du gouvernement qui « a, comme à son habitude, décidé de façon unilatérale et sans tenir compte des propositions de l’opposition, les dates et la durée de l’opération de révision de la liste électorale 2020, du 10 au 24 juin 2020[3]». L’opposition avait proposé la durée d’un mois pour tenir compte de la crise sanitaire du Coronavirus et du confinement d’Abidjan.

Ensuite, à l’échéance des différentes réclamations sur cette liste, l’opposition, dénonça la présence de personnes décédées, d’étrangers et de mineurs sur la liste. Elle a exigé un audit international[4]. S’il est vrai qu’il a été impossible pour l’opposition de prouver l’ampleur des anomalies, il faut dire que cette suspicion s’est alimentée à l’aune de discours d’illustres cadres du RHDP[5] qui ont tenu devant la presse des propos peu rassurants. Le plus marquant de ces discours est celui du ministre Adjoumani Kobenan Kouassi, par ailleurs porte-parole du parti au pouvoir. Lors d’une conférence co-animée par trois ministres du parti pour répondre à l’accusation du recours à des étrangers par le pouvoir dans le jeu électoral interne, celui-ci a affirmé qu’«au RHDP, on n’a pas peur d’enrôler les étrangers pour constituer notre électorat[6]». Le second est le Ministre Adama Bictogo qui a annoncé dans la presse nationale que trois quarts des électeurs inscrits sur la liste électorale étaient issus du RHDP[7].

Le coup de grâce du Conseil constitutionnel

Comme si ces circonstances ne suffisaient pas, le coup de grâce a été porté par le Conseil constitutionnel qui a rendu sa décision[8] en validant seulement quatre des 44 dossiers de candidature à l’élection, écartant ainsi de nombreux opposants à Ouattara, dont Laurent Gbagbo et Guillaume Soro. Sur l’éligibilité du Président Ouattara, le Conseil constitutionnel a rejeté les requêtes des opposants qui estimaient qu’il ne pouvait briguer un troisième mandat, la Constitution limitant le nombre de mandats à deux. Le Conseil a souligné que le changement de Constitution en 2016 n’était pas une révision et estimé que « la question de la possibilité ou non, pour le président de la République sortant de briguer un nouveau mandat doit s’analyser à l’aune de l’adoption d’une nouvelle Constitution »[9].

Pour appuyer ses conclusions, le Conseil constitutionnel a aussi considéré « que sur cette même question, des leaders politiques avaient, par le passé, soutenu publiquement que la nouvelle Constitution permettait bel et bien au Président de la République de solliciter un nouveau mandat, et, sous ce prétexte, avaient combattu le projet de la nouvelle loi fondamentale pendant la campagne référendaire ; Qu’à ce sujet, le requérant Affi N’Guessan Pascal avait soutenu publiquement que : « rien dans la nouvelle Constitution promulguée le 08 novembre 2016 n’empêche le Président Alassane Ouattara d’être candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020[10]». Dès lors, les partisans du chef de l’État affirmeront que le changement de Constitution a remis le compteur à zéro, alors que l’opposition jugera sa nouvelle candidature inconstitutionnelle car, soutiennent-ils, la non-rétroactivité ne s’applique qu’à une disposition nouvelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Et Guillaume Soro d’ajouter sur son compte twitter que « c’est une décision inique, politiquement motivée, juridiquement boiteuse et qui s’inscrit dans une logique d’anéantissement de la démocratie[11]» .

En validant cette candidature, le juge constitutionnel a exposé au grand public la perfectibilité de cette institution jugée, finalement à raison, inféodée au pouvoir. Cette décision s’est révélée être un redoutable vecteur de tensions politiques. Elle a entrainé un mot d’ordre de désobéissance civile lancé par l’opposition. A la suite de quoi des violences communautaires, survenues dans plusieurs villes de la Côte d’Ivoire, ont fait une centaine de morts.

Faisant fi de ces crises juridiques, politiques et sociales et malgré les appels au consensus entre tous les acteurs avant le scrutin, le gouvernement décidera de maintenir le 31 octobre 2020 comme la date d’ouverture des bureaux de vote, laissant présager un hold-up… prévisible !

Lire la suite et fin (3/3)

[1] Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples

[2] Extrait de l’arrêt de la CADHP du 15 juillet 2020 ; Requête no 044/2019 – Suy Bi Gohore Emile & 8 Autres c. Côte d’Ivoire. Lien pour lire l’intégralité de l’arrêt https://fr.african-court.org/index.php/47-pending-cases-details/634-requete-no-044-2019-suy-bi-gohore-emile-8-autres-c-cote-d-ivoire-details

[3] Extrait du propos liminaire du secrétaire exécutif en chef du PDCI, Pr Maurice Kakou Guikahué, face à la presse, le vendredi 19 juin, au siège du PDCI-RDA à Cocody. Lire l’intégralité ici : https://pdcirda.ci/2020/06/21/revision-de-la-liste-electorale-le-pdci-rda-denonce-la-discrimination-des-petitionnaires/

[4] Il est important de rappeler que le recours à l’audit international n’est prévu par aucun texte. En outre, l’article 12 de l’ordonnance n° 2020-356 du 8 avril 2020 portant révision du Code électoral donne compétence au président du tribunal territorialement compétent pour traiter le contentieux de la liste électoral. Ce choix n’a pourtant pas été retenu par l’opposition.

[5] Rassemblement des Houphouëtistes pour la paix, parti au pouvoir

[6] Lien de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=Q-_M_CEvdPU

[7] Côte d’Ivoire : Présidentielles de 2020, le RHDP annonce que les 3/4 des électeurs inscrits sur la liste électorale sont issus de ses rangs par Koaci.com. Consulter l’article ici : https://www.koaci.com/article/2020/06/25/cote-divoire/politique/cote-divoire-presidentielles-de-2020-le-rhdp-annonce-que-les-34-des-electeurs-inscrits-sur-la-liste-electorale-sont-issus-de-ses-rangs_142610.html

[8] Décision n° CI -2020-EP-009/14-09/CC/SG du 14 septembre 2020 portant publication de la liste définitive des candidats à l’élection du président de la république du 31 octobre 2020. Décision disponible http://www.conseil-constitutionnel.ci/archives-et-decisions/decision-ndeg-ci-2020-ep-00914-09ccsg-du-14-septembre-2020-portant-publication

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Déclaration de M. Guillaume Kigbafori Soro suite à la décision du conseil constitutionnel, le 14 septembre 2020 https://guillaumesoro.ci/news/449/39/DECLARATION-DE-M.-GUILLAUME-KIGBAFORI-SORO-SUITE-A-LA-D%C3%89CISION-DU-CONSEIL-CONSTITUTIONNEL.html