Par Danielle Mouori, le 29 octobre 2020
Depuis 2012, le Mali fait face à des problèmes sécuritaires dans le Nord et Centre du pays, dus aux rébellions et aux mouvements djihadistes. Ces problèmes sécuritaires ayant conduit à l’intervention militaire française, ont mis en avant la fragilité de l’Etat qui peine à endiguer la progression de cette menace terroriste sur le territoire malien. Dans ce contexte de forte instabilité, le pays traverse également une crise socio-politique sous la présidence d’Ibrahim Boubakar Keita, arrivé au pouvoir en 2013. Cette crise a atteint son paroxysme avec la pandémie de Covid 19 et la tenue d’élections législatives dans des conditions minimalistes en mars et avril 2020. Ces éléments déclencheurs ont ainsi conduit à un soulèvement du peuple, exhortant la démission du gouvernement en place. Depuis lors, une série d’évènements a plongé le pays dans une situation d’imbroglio politique.
Une prise de pouvoir par les armes
Le 18 aout 2020, un coup d’Etat perpétré par les forces armées maliennes du camp militaire de Kati, conduit au renversement du Président Ibrahim Boubakar Keita qui a été forcé à la démission à la suite de son arrestation dans la foulée, avec d’autres membres de son gouvernement. Ce coup d’Etat militaire a été le relais d’un mouvement social de contestation du pouvoir, porté par une coalition hétéroclite de groupes d’opposition, d’organisations de la société civile et de représentants religieux, sous l’appellation du « Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques » (M5-RFP).
Formé depuis juin 2020 pour contester les résultats des élections législatives favorables à la majorité présidentielle, ce mouvement avait exigé le départ du Président en dénonçant entre autres, la mauvaise gouvernance, l’augmentation de la corruption extrême, les problèmes sécuritaires et économiques dans le pays, en plus de la détérioration des services sociaux, notamment dans le secteur éducatif.
Dans ce contexte de manifestations et d’échec de médiation sous-régionale pour apaiser les tensions, l’action de la junte a sonné le glas des contestations civiles en favorisant l’exécution de la volonté populaire. Ceci tout en annonçant la création du Comité National du Salut du Peuple (CNSP) chargé d’assurer la transition politique et l’organisation de nouvelles élections générales crédibles dans le pays, dans « un délai raisonnable » afin de « permettre au Mali de se doter d’institutions fortes ».
Si aucun délai n’a été imparti pour la mise en place de ce processus de transition au moment de cette annonce par la junte, il reste cependant que les concertations engagées pour ce projet révèlent de nombreuses divergences sur les modalités de son déroulement de la part des parties prenantes impliquées.
La difficile mise en place d’une transition
Lors du communiqué prononcé au lendemain de leur prise de pouvoir, les putschistes ont émis dès le départ la volonté d’installer dans des meilleures conditions, « une transition politique civile (…) qui jettera les bases d’un Mali nouveau », en souhaitant également collaborer avec les forces étrangères pour contenir la crise sécuritaire dans le pays.
Cependant, au niveau régional et sous-régional notamment, l’action des militaires s’est vue dénier toute forme de légitimité en faisant l’objet de sanctions immédiates, condamnant expressément le putsch en vertu du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance[1]. En exigeant en effet le rétablissement de l’ordre constitutionnel malien, la CEDEAO a réclamé que la transition dans le pays soit dirigée par des civils dans une période d’un an maximum. Mais malgré cet ultimatum, des désaccords ressortent déjà des éventuelles discussions avec l’organisation sous-régionale, car la Charte de la transition présentée par la junte à l’issue des concertations nationales tenues dans le pays du 10 au 12 septembre 2020, stipule qu’un civil ou un militaire peut remplir ce rôle avec un gouvernement qui durerait dix-huit mois jusqu’à la tenue des prochaines élections.
Il s’agit d’une position qui ne fait pas l’unanimité au niveau national, bien que le document ait été approuvé par la junte lors de sa présentation. Le M5-RFP qui préalablement soutenait l’action des militaires en la qualifiant d’une « insurrection populaire » plutôt qu’un coup d’Etat, rejette d’ores et déjà cette Charte en accusant les dirigeants militaires de « confisquer le pouvoir », considérant que ladite Charte « ne reflète pas les points de vue et les décisions du peuple malien ». Tout ceci, quand bien même les populations maliennes semblent préférer que les forces armées dirigent cette transition, pour avoir perdu toute confiance dans la classe politique. Une réalité qui explique la fracture sociale à l’origine des mobilisations populaires ayant conduit par ricochet au coup d’Etat militaire, nécessitant aujourd’hui une transition politique pour la refondation de l’Etat malien.
Les incertitudes sur la transition et la résolution de la crise
Si des polémiques naissent des pourparlers relatifs à la mise en place et au déroulement de la transition, aussi bien que sur le profil de la personnalité qui la dirigera, il demeure cependant que de nombreuses incertitudes subsistent à la fois au niveau de la résolution de cette crise politique malienne, et au niveau de la capacité des acteurs en place à réussir la restauration de l’ordre politique et constitutionnel au Mali. Ce qui parait fondamental et urgent, car le pays est sans gouvernement depuis plusieurs mois dans un contexte sécuritaire dégradé, peu susceptible de garantir la stabilité de l’Etat.
L’organisation des élections démocratiques est certes le recours privilégié pour sortir de la transition et favoriser une redistribution pacifique et légitime du pouvoir pour le rétablissement des Etats post-conflit. Seulement, l’histoire politique du Mali enseigne qu’elles ne font pas nécessairement disparaitre les causes profondes de la crise dans le pays, puisque sept ans après l’élection d’Ibrahim Boubakar Keita à l’issue d’une transition, ce sont les mêmes raisons qui ont conduit les populations à se soulever aujourd’hui. Ceci, car les pratiques dénoncées sous l’ancien régime de son prédécesseur, Amadou Toumani Touré, et ayant notamment entrainé son renversement en 2012, ont perduré également sous sa présidence. Il s’agit principalement de la mauvaise gestion des ressources publiques, la persistance de la corruption, le népotisme dans les recrutements ainsi que le règne de l’impunité à l’origine du malaise social et freinant plus largement, le développement global du Mali.
Afin d’éviter que l’histoire se répète, il y a donc tout intérêt pour les autorités actuelles au travers de cette transition politique, à jeter les bases crédibles de la reconstruction d’un Mali nouveau, stable et pacifié, au-delà de l’objectif ultime d’aller au plus vite vers des élections générales. Le contexte actuel apparait ainsi être l’occasion pour les populations maliennes de faire de cette transition, l’objet d’une véritable appropriation nationale afin de penser aux nombreux défis fondamentaux de gouvernance, affectant le pays depuis plusieurs années.
[1] CEDEAO, Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, Dakar, 21 décembre 2001, Art. 1er, al. c : « Tout changement anti-constitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir.».