Par Johann Soufi, le 5 novembre 2020
Le 1er juillet 2002, le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) entrait en vigueur, après sa ratification par 60 États moins de quatre ans après son adoption. Pour les partisans d’un multilatéralisme judiciaire, la création d’une juridiction pénale internationale, à vocation universelle et permanente, représentait une victoire décisive dans la lutte contre l’impunité. Les espoirs placés dans la CPI étaient immenses – peut-être même excessifs – mais un réel vent d’optimisme entourait sa naissance.
2020 : Une annus horribilis pour le 18e anniversaire de la CPI ?
Alors que la CPI vient de fêter son dix-huitième anniversaire, ses nombreux partisans, dans les chancelleries comme dans la société civile, ne se satisfont plus de sa simple existence. Ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à critiquer sa mauvaise gouvernance ou son inefficacité. L’espoir et l’amour inconditionnel des premières années ont laissé place à une impatience de plus en plus perceptible et à une exigence accrue alors que les conflits armés et les violations des droits de l’Homme se multiplient aux quatre coins de la planète.
En parallèle, la profonde remise en question du multilatéralisme et l’élargissement des enquêtes de la Cour aux crimes commis par de grandes puissances ou leurs alliés, ont poussé ses traditionnels détracteurs à multiplier leurs attaques frontales à son encontre. En septembre 2020, comme il l’avait annoncé, Mike Pompeo, secrétaire d’État de l’administration Trump, a ainsi pris des sanctions économiques contre la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda et l’un de ses adjoints, Phakiso Mochochoko, tous deux africains, en « représailles » à l’ouverture d’une enquête de la Cour sur la situation en Afghanistan. Loin d’être symboliques, ces mesures habituellement réservées aux membres des groupes terroristes et autres ennemis des Etats-Unis d’Amérique, affectent directement la vie personnelle des deux procureurs et entravent de manière importante le travail d’enquête de la Cour, déjà profondément impacté par l’épidémie de Covid-19 qui empêche ses enquêteurs de voyager et ses audiences de se tenir dans des conditions habituelles.
La Cour traverse également une crise de gouvernance sans précédent. Des voix dénoncent enfin l’environnement de travail toxique, sexiste, et bureaucratique qui règne à la Cour. Derrière les rideaux feutrés des ambassades, les Etats se disputent ardemment, sur le nom du ou de la procureur(e) qui dirigera la politique pénale de la Cour pour les neuf prochaines années.
Si la CPI vit incontestablement la période la plus difficile depuis sa création, les défis auxquels elle fait face à l’occasion de son 18ème anniversaire pourraient bien être, en réalité, annonciateurs d’un nouveau souffle pour la Cour et pour l’écosystème du Statut de Rome.
Une vague de soutien en faveur de l’indépendance de la Cour
Le régime de sanctions mise en œuvre par l’administration Trump à l’encontre du Bureau du procureur et de son personnel a profondément impacté le travail de la Cour. Ces attaques ont toutefois provoqué, en réaction, une vague de soutien massif de la part des organisations de la société civile et des Etats parties réaffirmant leur appui indéfectible à une institution judiciaire «indépendante et impartiale ». Au-delà des mots, cet appui pourrait se matérialiser prochainement par des mesures fortes destinées à aider la Cour à surmonter les difficultés multiformes qu’elle rencontre pour lutter effectivement contre l’impunité.
Le rapport du groupe d’experts indépendants : des propositions ambitieuses pour améliorer la culture organisationnelle et l’efficacité de la Cour
Ainsi, le 30 Septembre 2020, le groupe d’experts nommé par l’Assemblée des États parties en décembre 2019 pour réaliser un examen complet de la gouvernance et des activités de la CPI, a publié son rapport final (disponible uniquement en anglais pour le moment). Ce dernier particulièrement informé, détaillé et ambitieux, met en exergue certains sujets demeurés trop longtemps tabous, notamment la culture de peur et de harcèlement qui règne au sein de la Cour et les sérieuses lacunes managériales de certains de ses cadres et magistrats. Le rapport aborde également de front la question du manque d’efficacité de la CPI, critiquant la complexité et la lenteur de sa procédure avant et durant le procès, mais également la manière dont le Bureau du Procureur mène ses enquêtes et ses poursuites.
Pour remédier à ces insuffisances, les experts formulent 384 recommandations portant sur un large éventail de questions destinées à améliorer la gouvernance et les ressources humaines de la Cour ; l’éthique et de gestion des conflits d’intérêts au sein de la Cour; l’efficacité et l’équité de sa procédure; ou les relations qu’entretiennent les organes de la Cour avec diverses parties prenantes. Ce rapport, offre ainsi à l’Assemblée des États parties l’occasion unique de remodeler la culture de travail de la Cour et d’améliorer son effectivité en créant un comité chargé de suivre la mise en œuvre concrète des recommandations des experts et d’en informer les Etats.
Une amélioration importante des modalités de sélection et d’élection des juges
L’autre axe d’espoir concerne la prise de conscience par les Etats parties de la nécessité pour la Cour de disposer d’un corps de magistrats professionnels, intègres et dotés de haute considération morale. A cette fin, l’Assemblée des Etats parties a adopté, en décembre 2019, une révision importante des modalités de présentation des candidatures et d’élection des juges prévoyant notamment une évaluation renforcée des compétences des candidats ainsi que de leur impartialité, de leur intégrité et de leur moralité.
Le 30 septembre 2020, la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juges a publié son rapport évaluant les 20 candidats (11 hommes et 9 femmes) postulant aux six postes vacants de magistrats au sein de la Cour pour les neufs prochaines années. Si le ton général du rapport est nettement plus diplomatique que celui du groupe d’experts, il démontre cependant une réelle volonté de transparence et d’exigence quant aux compétences des futurs magistrats. La Commission n’a ainsi recommandé que 10 (dont 7 femmes) des 20 candidats « hautement qualifiés », laissant espérer une amélioration du niveau général des futurs magistrats de la Cour et de leur comportement, une fois élus.
L’élection du ou de la futur(e) Procureur(e) de la Cour : un choix disruptif révélateur d’une volonté de changement de méthode
La 19e assemblée des États parties, en décembre 2020, sera enfin marquée par l’élection du prochain procureur, véritable maitre d’œuvre de l’activité et de la politique pénale de la Cour. Les enjeux de cette élection, particulièrement importants en temps normal, sont décuplés en cette période de crise. Les États parties ont ainsi redoublé d’efforts pour trouver le ou la candidat(e) disposant de la compétence, de l’indépendance, de l’impartialité, de l’intégrité, du courage et de l’assurance nécessaire pour mener à bien ce mandat si complexe et pour faire face aux pressions, à l’extérieur comme à l’intérieur de la Cour.
La résilience de la Cour pénale internationale
Pour l’aider dans cette quête, l’ASP a constitué, en décembre 2019, un Comité d’élection du Procureur composé de cinq membres et lui-même assisté d’un groupe de cinq experts indépendants qui a examiné les candidatures et procédé à l’évaluation des compétences et qualités de l’ensemble des candidats. Dans son rapport du 30 juin 2020, le Comité d’élection du Procureur a recommandé quatre candidats, trois hommes (Morris A. Anyah, Fergal Gaynor, et Richard Roy) et une femme (Susan Okalany), considérés par une partie des observateurs de la justice pénale internationale comme « outsiders », voir inconnus dans le microcosme de La Haye. Cette décision, à la fois surprenante et disruptive a suscité un émoi important parmi les observateurs de la justice pénale internationale qui ont cherché à en comprendre les raisons. Beaucoup ont toutefois salué la volonté du Comité d’explorer de nouvelles voies et de privilégier des candidats, en apparence moins expérimentés pour un poste si difficile, mais peut-être plus susceptibles de rétablir une atmosphère de travail sereine, respectueuse et inclusive au sein du Bureau du Procureur que d’autres candidats plus rodés au système onusien et aux arcanes des juridictions pénales internationales.
Dans un exercice inédit, les quatre candidats retenus ont participé à plusieurs débats, retransmis en direct, au cours desquels des représentants des Etats parties et de la société civile leur ont posé des questions sur des sujets complexes et délicats. Le choix du Comité n’est que facultatif et certains États ont déjà exprimé leur volonté de soutenir d’autres candidats que les quatre shortlistés. Ce processus a toutefois déjà montré à quel point la société civile ne comptait plus rester à l’écart d’une élection aussi importante pour l’avenir de la justice pénale internationale. Cet exercice aura également mis en relief l’exigence de moralité du prochain procureur, et la volonté affirmée de lutter contre toute forme de discrimination, de harcèlement et d’abus au sein du Bureau du Procureur. Quel que soit le choix final des États parties lors de l’élection qui se tiendra en décembre, le troisième procureur de la Cour sera sous les feux des projecteurs, non seulement pour ses décisions stratégiques mais aussi et surtout pour ses capacités managériales, son leadership et son exemplarité. En cela, cette élection est déjà une réussite.
Conclusion
L’année 2020, pour la Cour pénale internationale comme pour le reste de la planète, restera une année particulièrement éprouvante et difficile. Au-delà de l’épidémie de COVID qui a profondément affecté son travail, la Cour a été confrontée à des critiques et des attaques sans précédent dans sa jeune histoire. Toutefois, à l’image de l’impact que pourrait avoir la crise sanitaire sur notre mode de vie, la crise que traverse la Cour pourrait, paradoxalement, être salutaire, forçant les États à démontrer leur attachement à cette juridiction qu’ils ont fait naitre il a peine deux décennies. Après tout, comme le rappellent justement les membres du groupe d’experts dans leur formidable rapport : « Dans le climat politique actuel et compte tenu des violations des droits de l’homme en cours dans le monde, la mission de la Cour est plus cruciale que jamais ».
Les opinions exprimées dans ce billet sont purement personnelles, l’auteur ne s’exprimant aucunement en sa capacité officielle. Elles n’engagent donc pas les Nations Unies, ses agences ou l’un des quelconques employeurs de l’auteur.