Par Balkissou Hayatou, le 19 novembre 2020
Sonia Le Gouriellec, Djibouti. La diplomatie de géant d’un petit État, Presses universitaires du Septentrion, 2020, 224 pages. Présentation et sommaire sur le site internet de l’éditeur
Analyser « La puissance des sans puissances » à la lumière de la diplomatie de Djibouti
Djibouti. La diplomatie de géant d’un petit État, est un ouvrage pionnier dans l’analyse des politiques étrangères des petits États d’Afrique. Sonia Le Gouriellec traite de la politique étrangère d’un État d’à peine un million d’habitants répartis sur un territoire de 25 030 km2, indépendant le 27 juin 1977 et faisant partie des pays les moins avancés du monde (PMA). Elle se demande comment Djibouti survit dans une région aussi conflictuelle que la corne de l’Afrique. Son hypothèse porte sur le besoin d’affirmation de Djibouti, insatisfait des instruments censés répondre aux défis sécuritaires. D’après la thèse qu’elle avance Djibouti a développé une riche puissance qui lui est spécifique : sa position géographique qu’il facture aux puissances étrangères. Nous allons en discuter à la lumière des idées forces du texte. L’influence des réalités internes et régionales, la diplomatie pragmatique et le projet de la route maritime chinoise.
Djibouti sous influence des réalités internes et régionales
Selon Sonia le Gouriellec, Djibouti s’est construit sous influence des réalités internes et régionales. Son histoire est marquée par les guerres, la menace terroriste, la piraterie maritime, et les défis migratoires. L’imbrication des destins des pays de la corne de l’Afrique lui a fait craindre d’être en permanence dans l’œil du cyclone. Raison pour laquelle il a développé une stratégie d’extraversion marquée par l’alliance avec le voisin Éthiopien et l’installation des bases militaires américaines, européennes, et chinoises. De cette présence étrangère, un officiel rappelle que Djibouti ne peut pas être une terre de confrontation. Le pays se donne une marge de manœuvre à coup d’ultimatums voilés. Nous constatons aussi que les enjeux sécuritaires demeurent un pôle essentiel de la politique étrangère. La portée des actions et notamment l’atteinte des objectifs de Djibouti, invitent à notre avis à une bonne délimitation du discours et de la pratique afin de maintenir une certaine cohérence sur les plans sous-régional qu’international. Nous sommes par ailleurs convaincus que la pratique du non-alignement et de la neutralité positive, contribuent dans une certaine mesure à la consolidation de la diplomatie.
La diplomatie pragmatique de Djibouti
Sonia Le Gouriellec estime que la taille d’un État ne traduit pas nécessairement sa vulnérabilité dans le système international. Elle s’appuie sur deux exemples, la surenchère de la base militaire américaine en plus du refus de l’accueil de la Russie, et l’acceptation de la base chinoise. Nous convenons certes avec elle que la rupture intervenue dans la formulation de la politique étrangère de Djibouti a contribué à l’accélération de la mise en œuvre d’une diplomatie originale dont le pragmatisme constitue le plus grand atout. Mais la stratégie adoptée par Djibouti ne menace-t-elle pas sa stabilité, son efficacité ? Toute action diplomatique requiert minutie et moyens de réponses adaptés dont le petit État n’est pas suffisamment pourvu. Sonia Le Gouriellec pense que la faiblesse des représentations diplomatiques et de l’organisation de l’administration ne constitue pas un risque énorme. Nous craignons que les difficultés structurelles et organisationnelles fragilisent à moyen terme le dispositif stratégique de la diplomatie djiboutienne. L’absence d’une visibilité aussi bien à l’Union africaine (UA) qu’au sein de l’Organisation des nations unies (ONU) relevée par l’auteur nous confortent dans l’idée selon laquelle Djibouti risque un affaiblissement diplomatique en se livrant sans réserve aux grandes puissances. C’est ce qui nous amène à penser une relativisation de « la puissance des sans puissances » mise en avant par l’auteur.
Djibouti au cœur du projet de la route maritime chinoise
À l’amorce finale de son livre, l’auteur analyse la place et les enjeux liés au choix de Djibouti comme tête de pont de la Chine dans son projet controversé de route maritime de la soie. Elle met en lumière les risques soulevés par les partenaires traditionnels de Djibouti et les vives critiques faites sur le projet chinois. Toutefois, elle affirme que la capacité pour Djibouti de coopérer avec les plus grands n’est pas un leurre dans la mesure où le petit État pratique une ingénieuse politique étrangère. Bien que nous partagions le même avis sur le rôle d’État pivot et son impact dans la corne de l’Afrique, nous émettons une réserve quant aux bénéfices susceptibles d’être engrangés par Djibouti dans cette coopération économique et commerciale dont les retombées semblent plus avantageuses pour la Chine. À notre avis, Djibouti moins aguerrie pourrait comme Icare se brûler les ailes.
Djibouti. La diplomatie de géant d’un petit État apporte des éléments de compréhension de la manifestation de la politique étrangère d’un petit État parvenu en quelques années à négocier avec les grandes puissances. Nouveau hub régional et futur pivot de la mondialisation, Djibouti fait montre d’une diplomatie originale qui a su puiser ses ressources dans la problématique sécuritaire, élément référentiel de l’action diplomatique. Son évolution reste appréciable et constitue un cas d’étude original qu’étudiants et universitaires apprécieront particulièrement pour la densité et la qualité de l’analyse faite par l’auteur.