Par Emmanuel Bourdoncle, le 4 mars 2021
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Une double instrumentalisation refusée
Bien que décidée à une courte majorité de 9 juges contre 7 s’agissant du statut diplomatique de l’immeuble, cette décision de la CIJ vient conforter une lecture et une pratique du droit diplomatique fondées sur un consensualisme conforme à la raison d’être même de ce domaine du droit international. En empêchant de recourir de façon non fondée au juge international pour faire obstacle aux juges internes, elle permet par ailleurs aux procédures internes liées aux affaires des biens mal acquis de se poursuivre.
Une conception unilatérale du droit diplomatique écartée
Sur le plan du droit diplomatique, la décision de la Cour reflète une analyse qui pourrait apparaitre restrictive à première vue mais qui entend in fine la soustraire à un arbitraire contraire à l’idée même du droit en général et des relations diplomatiques en particulier. En effet, la question de droit centrale dans l’affaire portait sur les conditions de l’affectation d’un local à des fins diplomatiques. Tandis que la Guinée équatoriale défendait l’idée qu’une telle affectation peut être unilatéralement décrétée par l’État d’envoi, la France a fait valoir l’idée selon laquelle que l’affectation diplomatique procède non seulement d’une demande de l’État d’envoi, mais également d’une acceptation de l’État d’accueil. L’affectation d’un local à des fins de mission diplomatique procéderait alors d’un processus bilatéral.
La CIJ développe ainsi un long raisonnement, des § 39 à 75 de l’arrêt, sur les circonstances dans lesquelles un bien acquiert le statut de « locaux de la mission » au sens de l’alinéa i) de l’article 1er de la CVRD. Sur ce point, la Cour considère que ladite convention n’autorise pas un État accréditant (l’Etat d’envoi) à imposer unilatéralement son choix de locaux de la mission à l’État accréditaire lorsque ce dernier a objecté à ce choix. Une telle objection doit être communiquée en temps voulu, ne doit pas être arbitraire, ni avoir un caractère discriminatoire. Lorsque l’ensemble de ces conditions sont remplies, ce bien n’acquiert pas le statut de « locaux de la mission » et ne bénéficie pas donc de la protection prévue à l’article 22 de la CVRD.
En l’absence de dispositions spécifiques dans la Convention de Vienne sur ce sujet, les juges interprètent la Convention à la lumière de son objet et de son but. Ce faisant, ils mettent en avant la logique consensualiste du droit diplomatique, rencontre de volontés unilatérales dont il convient de s’assurer de l’accord réciproque. Le droit diplomatique doit assurer un équilibre entre les droits de l’Etat accréditant qui ne peuvent être illimités au regard des obligations réciproques de l’Etat accréditaire (§ 65-66). Il nécessite alors un consentement mutuel pour reconnaitre aux locaux un statut diplomatique (§ 62). Une telle interprétation correspond à l’esprit même des relations diplomatiques et des privilèges et immunités qui en découlent :
« L’imposition unilatérale du choix de locaux par un Etat accréditant ne serait donc manifestement pas compatible avec l’objet de la convention consistant à favoriser les relations d’amitié entre les pays. Elle exposerait de surcroît l’Etat accréditaire à des abus potentiels des privilèges et immunités diplomatiques, ce que les rédacteurs de la convention de Vienne entendaient éviter, en spécifiant, dans le préambule, que le but desdits privilèges et immunités n’est pas « d’avantager des individus ». » (§ 67).
En conséquence, la CIJ déduit de ce principe de consentement mutuel l’existence d’un pouvoir d’objecter de la part de l’Etat accréditant qui n’est cependant pas illimité. L’objection doit être communiquée dans un délai raisonnable et ne présenter un caractère ni arbitraire ni discriminatoire (§ 73-74). Après avoir relevé l’existence d’une objection de la France à l’acquisition d’un statut diplomatique du 42 avenue Foch (§ 76-89), la Cour fait ensuite application aux faits de l’espèce des critères dégagés quant à cette objection.
Il convient notamment d’observer les précisions apportées quant à la notion de caractère arbitraire. Son absence en l’espèce est constatée par la Cour du fait de l’existence des procédures pénales françaises à l’encontre d’un bien privé qui fonde un motif raisonnable pour la France d’objecter à la reconnaissance du statut diplomatique de l’immeuble (§ 107-110). La Cour semble faire preuve de prudence dans cette entreprise de quasi-développement du droit diplomatique en imposant ces critères et notamment celui de motif raisonnable. A titre de comparaison, l’article 9 de la CVRD permet à tout Etat « à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, [d’]informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ». La Cour rappelle par ailleurs que l’objection de la France est d’autant moins discriminatoire ou arbitraire qu’elle a parallèlement toujours reconnu l’existence de locaux officiels de la mission diplomatique de la Guinée équatoriale à Paris, en l’occurrence, ceux situés au 29 boulevard de Courcelles (§ 116).
La décision de la Cour, concernant le statut diplomatique du 42 avenue Foch, reste néanmoins marquée par la courte majorité, de 9 voix contre 7, qui l’a consacré. Celle-ci s’explique essentiellement par la contradiction entre droit et fait à laquelle abouti cet arrêt. Ainsi, bien que la mission équato-guinéenne soit effectivement installée à cette adresse depuis juillet 2012, la Cour n’a pas hésité à affirmer que l’immeuble « n’a jamais acquis le statut de « locaux de la mission » de la République de Guinée équatoriale en République française ». S’appuyant sur l’absence d’une exigence de consentement à la reconnaissance du statut de bien diplomatique des immeubles par les Etats d’accueil, plusieurs juges, dans leurs opinions individuelles ou dissidentes, l’écart entre la solution retenue dans l’arrêt et l’effectivité[1].
Une entrave levée pour les procédures internes relatives aux biens mal acquis
En rendant cette décision, la Cour n’a donc pas permis à la Guinée équatoriale d’atteindre son objectif affiché, celui de faire obstacle aux procédures pénales françaises. Dans le cas contraire, la France aurait été placée dans une situation difficile, déjà expérimentée par l’Italie suite à l’arrêt de 2012 dans laquelle les agissements de son pouvoir judiciaire, indépendant en démocratie, conduisent à la violation des obligations internationales mettant le gouvernement dans une situation particulièrement complexe.
A ce titre, il est néanmoins regrettable que la Cour ait refusé de se pencher sur la question de l’abus de droit que pouvait représenter les manœuvres équato-guinéennes tendant à voir reconnaitre un statut diplomatique à l’immeuble du 42 avenue Foch. Ce point avait pourtant été soulevé par la France au stade des exceptions préliminaires comme dans son contre-mémoire et sa duplique considérant qu’un tel abus était constitué du fait de la délocalisation par la Guinée équatoriale de son ambassade postérieurement au début de l’enquête pénale, afin que soit reconnue à l’immeuble en cause une inviolabilité le mettant à l’abri de toute saisie[2].
Surtout, une décision contraire aurait menacé très fortement les autres procédures ouvertes en France ou dans d’autres pays tout en laissant la porte ouverte à une possible multiplication des recours internationaux à leur encontre. A ce titre, les procédures judiciaires ouvertes depuis 2010 concernant les biens mal acquis connaissent un volet gabonais qui a donné lieu à diverses saisies et mises en examen au sein de la famille Bongo[3] ainsi qu’un volet congolais mettant en cause plusieurs membres de la famille de Denis Sassou Nguesso[4]. Par ailleurs, la justice française a condamné en le 17 juin dernier, Rifaat Al-Assad, oncle de l’actuel président syrien pour détournement de fonds publics et blanchiment[5]. Enfin, depuis 2019, une enquête préliminaire pour détournement de fonds visant des biens mal acquis détenus en France par la famille de l’ancien président du Yémen Ali Abdallah Saleh est ouverte[6]. Au-delà de la situation française, des affaires liées portant sur des biens mal acquis sont également en cours devant les juridictions de plusieurs pays (Suisse, Belgique, Brésil…).
Ce qui arrive quand on n’a pas d’immunité diplomatique
Cette décision de la Cour lève donc une lourde incertitude qui pesait sur l’ensemble de ces procédures et en premier lieu celle concernant Teodorin Obiang. Loin de mettre un terme définitif à cette dernière, il est encore difficile de tirer les conséquences pratiques de la décision. En effet, le pourvoi en cassation de Teodorin Obiang suite à l’arrêt de la cour d’appel de Paris de février 2020 a conduit à la suspension de la confiscation. Après ce détour par La Haye, le devenir du 42 avenue Foch est encore inconnu, la confiscation par la France du bien devant encore être confirmée par la Cour de cassation.
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Non seulement la décision de la CIJ n’achève pas la procédure concernant Teodorin Obiang mais risque de relancer de nombreuses affaires judiciaires concernant les biens mal acquis. En dehors même des procédures judiciaires, l’actualité de ce sujet est également marquée par le devenir des biens confisqués. Dès 2014, les associations à l’origine des procédures soulevaient le problème de la restitution des avoirs. Relevant que si la France pouvait se prévaloir d’être à l’origine du « principe de restitution des produits des infractions de détournement et de blanchiment des fonds publics », elles appelaient à mettre en place des mesures permettant de rendre effectives ces restitutions au profit des populations[7].
Près de 7 ans après ce rapport, la mise en place d’un tel mécanisme reste néanmoins complexe. Bien que le Sénat ait adopté une proposition de loi mettant en place un fonds spécifique pour restituer les avoirs confisqués, celle-ci n’a pas été débattue à l’Assemblée nationale. Le projet de loi « de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales » actuellement en cours de discussion doit en effet intégrer un tel dispositif. Il fait néanmoins à cette heure l’objet de plusieurs amendements rendant encore incertaine sa forme finale[8].
[1] Voir en particulier l’opinion individuelle du Juge Yusuf sur ce point.
[2] Ce point est néanmoins évoqué par la Juge Sebutinde dans son opinion individuelle (§§ 32-39, pp. 9-11) qui considère que les actions équato-guinéennes ne constituent pas un tel abus.
[3] « Biens mal acquis: perquisitions à Paris dans les demeures de la famille Bongo », RFI, 31 janvier 2019.
[4] « Président autoritaire le jour, pilleur de son pays la nuit », Affaires sensibles-France Inter, 3 février 2020
[5] « La justice française condamne Rifaat Al-Assad, bourreau syrien en exil », Le Monde, 18 juin 2020
[6] « Biens mal acquis. Pour les Saleh, contre mauvaise fortune belle pierre », Libération, 21 décembre 2020
[7] Voir le rapport « Les enseignements de l’affaire des biens mal acquis » des associations Transparency France et Sherpa
[8] « Les députés s’emparent de la restitution des biens mal acquis aux populations spoliées », Le Monde, 18 février 2021.