Par Balkissou Hayatou, le 16 juin 2022
L’action du président du Conseil de sécurité repose sur la légitimité politique que lui octroient les membres de l’organisation à travers la désignation statutaire des cinq permanents et l’élection par l’Assemblée générale des non-permanents. Elle se poursuit dans le respect de la Charte des Nations Unies et autres sources du droit international qui déterminent ses pouvoirs juridiques.
Les pouvoirs juridiques du président du Conseil de sécurité, sources de légitimation de la pratique aux Nations Unies
Les pouvoirs juridiques du président du Conseil de sécurité prennent source de manière générale dans la Charte des Nations Unies. Ils se fondent spécifiquement sur le règlement intérieur provisoire (RIP), les méthodes de travail contenues dans les manuels de procédures du Conseil de sécurité et la note du président du Conseil de sécurité S/507/2017 du 30 août 2017. Chaque article du Règlement intérieur provisoire, texte de référence du fonctionnement du Conseil de sécurité, traite d’une action et des activités de son président.
Avant d’exercer ses pouvoirs juridiques dans le Conseil de sécurité, le président doit préalablement remplir une condition, à savoir détenir les pleins pouvoirs. Il s’agit d’un document référentiel et indispensable, qui reconnaît la capacité du représentant permanent ou du délégué d’un pays auprès de l’ONU de parler et négocier au nom de son gouvernement. Cela signifie que les pleins pouvoirs, qui relèvent aussi bien du cadre national qu’international, permettent aux diplomates de mener à bien leur mission tant au niveau de la représentation permanente auprès des Nations Unies qu’au sein du Conseil de sécurité. Cette condition préalable se consolide avec la mise à disposition des ressources diverses, techniques, humaines, logistiques qui facilitent le déroulement des activités du président.
Les pouvoirs du président sont déclenchés à partir du moment où il convoque les réunions jugées nécessaires (art.1) et qu’il approuve l’ordre du jour (art.7). Ils sont renforcés par son pouvoir de présider les réunions (art.19) d’une part, et d’autre part, de céder la présidence de la réunion pour éviter les conflits d’intérêts lorsque son pays est impliqué dans une situation examinée (art.20). Le président a aussi le pouvoir de donner la parole dans l’ordre demandé (art. 27), de diriger les débats en respectant l’ordre de passage en fonction de la demande de prise de parole et d’accorder priorité au rapporteur désigné (art.29). Le président a par ailleurs le devoir de se prononcer immédiatement lorsqu’il est sollicité par un membre et en cas de contestations se référer au Conseil (art. 30). C’est lui qui détermine l’ordre de mise aux voix s’il y a plusieurs projets de résolutions (art. 36) et enfin, il se doit de signer des comptes-rendus des réunions (art. 53).
Sur le plan pratique, le début des activités du président du Conseil est marqué par l’élaboration d’un programme et des projets à faire adopter, notamment en s’appuyant sur la planification des réunions hebdomadaires, mensuelles, thématiques, débats et des questions spécifiques. Le président du Conseil de sécurité peut donner des conférences de presse parfois au début de l’exercice de sa fonction, pendant ou à la fin du mandat. Une fois son programme adopté, le président convoque des réunions officielles qu’il prépare en amont grâce au processus de mise au point du programme mensuel et à la pratique des consultations préalables.
Dans le cadre de l’examen d’une question, le président du Conseil de sécurité conduit les débats. Il convient de souligner que les consultations informelles, qui sont rentrées dans la pratique, réduisent considérablement les situations de contestations et facilitent la mise en œuvre des actions prévues dans le programme du Conseil. Le président de ce fait joue le rôle de modérateur du groupe et aide les délégations à faire valider sans avoir à les imposer, les projets qu’ils présentent. La fonction du président n’est pas rattachée à la personne mais à l’État qui en assure la fonction c’est ce qui explique la présence des ministres des Affaires étrangères et même exceptionnellement des chefs d’États lors de ces présidences.
Le président du Conseil de sécurité doit faire une distinction entre son rôle de président et celui de représentant permanent du pays. Il reçoit des initiatives de tous les pays ce qui lui demande des capacités de mobilisation permettant de renverser les situations conflictuelles et les menaces. Il valorise également l’intersocialité au centre du jeu international et met en perspective le pouvoir d’influence d’un individu représentant aussi bien des institutions nationales qu’une organisation internationale.
La dynamique interne du Conseil fait ressortir un constat significatif : celui de l’évolution des postures des présidents. Dans la première décennie, ils prenaient des initiatives et agissaient sans concertation avec le Conseil. Durant la guerre froide, le recul des initiatives personnelles et des prises de fonction des présidents sont orientées sur le principe de « Leave It to Dag » prônant l’objectivité dans les actions du Conseil. De nos jours, la troisième phase se caractérise par des sessions de consultations informelles qui depuis font preuve de leur efficacité.
Présider le Conseil de sécurité permet ainsi de défendre des causes et projets en faveur soit de la région ou du pays d’appartenance lors des réunions et dans les débats publics. Dans l’exercice de sa fonction, le président du Conseil de sécurité peut être confronté à des imprévus, difficultés et blocages résultant soit des crises et des guerres, ou encore des réactions des autres membres. De fait, les changements brusques de l’environnement international impliquent en général la réorganisation des activités du Conseil et l’introduction de nouvelles méthodes de travail telles que les réunions d’urgence. La contrainte du temps limité à un mois fait constater l’avantage des présidents issus des États membres permanents sur ceux qui sont proviennent des pays élus. Pour les premiers l’exercice de la présidence du Conseil de sécurité est une routine car ils bénéficient d’une longue expérience des routines organisationnelles du Conseil de sécurité. Les seconds cependant doivent rapidement s’adapter et maximiser leurs actions en vue d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.
Les pouvoirs du président du Conseil de sécurité peuvent s’étendre ou être limités en fonction des sujets examinés par les membres. L’extension exceptionnelle a été récemment observée durant la présidence du mois de février 2022 assurée par l’ambassadeur, représentant de la Fédération de Russie, Vassili Nebenzia. En plein début de la guerre avec l’Ukraine, il a présidé les réunions d’urgence du Conseil de sécurité entre le 24 et le 28 février. Pourtant, le règlement intérieur provisoire souligne la nécessité d’effectuer le roulement mensuel de cession temporaire de la présidence lors de l’examen d’une question qui concerne directement son pays et d’autres questions connexes (art.20). Le statut de membre permanent et les quatre jours restants pour la fin de la présidence russe ont certainement contribué à pérenniser l’action de l’ambassadeur Nebenzia.
La limitation du pouvoir du président du Conseil de sécurité peut s’opérer au moment du vote d’un projet de résolution, comme cela a été le cas pour l’ambassadeur, représentant-adjoint des États-Unis, Richard Mills, président du Conseil de sécurité au mois de mai 2022. Le projet de résolution du 27 mai 2022, sur la non-prolifération/République Populaire Démocratique de Corée du Nord a été bloqué par le double veto sino-russe alors que les 13 autres membres du Conseil ont voté en sa faveur.
Les activités du Conseil de sécurité durant la présidence mensuelle font ressortir des divergences de vues sur certaines questions. Au terme de ses activités, le président du Conseil soumet son rapport de la Présidence. Ce document de travail permet à la fois de faire le point sur les actions du Conseil et d’en évaluer les portées sur le terrain. En termes d’impact, la présidence du Conseil a un caractère structurant car il participe du renforcement des capacités des diplomates et des politiques, de la représentation des régions et sous régions des différents continents du monde et de la promotion du genre.
À ce propos, l’on observe qu’autant de femmes que d’hommes ont assumé ces fonctions au Conseil de sécurité depuis la création de l’organisation. Grâce aux pouvoirs juridiques, toutes les activités et actions du président du Conseil ont une portée sur la formulation et le traitement de la paix et de la sécurité internationales à l’ONU car elles se diffusent à travers le monde par les processus décisionnels. Finalement, la présidence du Conseil de sécurité met en lumière la contribution spécifique d’un ambassadeur, représentant permanent de son pays aux Nations Unies. Cette contribution s’effectue certes dans un cadre restreint mais elle met en perspective les défis liés au bon déroulement des activités du Conseil de sécurité.
Au regard des différents problèmes et contextes, on peut affirmer que la fonction de président du Conseil de sécurité ne se traduit pas dans un modèle universel. La spécificité de chaque président réside dans la gestion de son mandat mensuel, de sa réaction globale et de ses propositions de réponses. Aussi, la dimension personnelle du président de sécurité ne change pas fondamentalement les dynamiques et l’organisation des activités du Conseil de sécurité. Au contraire, elle permet le renforcement et le suivi des activités, le partage des expériences, la promotion d’une gouvernance sur des thématiques transversales. On peut noter entres autres, les femmes et la guerre, les enfants soldats, la circulation des armes légères, les opérations de maintien de la paix en Afrique et à travers les autres pôles du monde, la coopération sectorielle entre les Nations Unies et les différentes régions du monde.
Sur le plan historique, le président du Conseil de sécurité façonne la manière dont les débats et discussions sont menés lors des négociations. Il apparaît comme le coordonnateur des rapports entre les différents groupes de bureaucrates et de diplomates impliqués dans les activités. Sur le plan pratique, pour assurer sa mission principale, le président procède la plupart du temps par des consultations informelles qui sont dominantes. Elles participent de la compréhension mutuelle entre les membres et surtout d’un gain de temps face à la multitude des sujets examinés.
La pratique de la présidence du Conseil de sécurité contribue in fine à mettre en perspective les postures et décisions des États membres pour faire ressortir la contribution du président sur les questions de paix et sécurités internationales. Au terme de la discussion, il en ressort que, durant son mandat, il est influencé par les intérêts nationaux, régionaux qui lui servent de fil conducteur pour s’inscrire de manière cohérente dans la mise en œuvre des actions de l’organisation. L’évaluation de la présidence tournante est possible à travers les réactions des États membres. Les prises de positions lors des votes illustrent les limites du président très souvent confronté soit à des blocages ou au contraire à des soutiens facilitant l’atteinte de son agenda d’une part, et d’autre part, des objectifs du Conseil de sécurité.