ThucyBlog n°273 – 20 ans après, le retour du conflit israélo-palestinien devant la Cour de justice internationale (2/2)

Palais de la paix, CIJ

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Par Insaf Rezagui et Mohammed Qawasma, le 9 mars 2023

Pour lire la première partie : ThucyBlog n°272 – 20 ans après, le retour du conflit israélo-palestinien devant la Cour internationale de Justice (1/2) – Centre Thucydide (afri-ct.org)

b) L’invocation par Israël d’un droit à la légitime défense (jus ad bellum)

Sur le fond, la première question concerne la légitime défense (jus ad bellum), encadrée par l’article 51 de la Charte onusienne. Israël devrait de nouveau invoquer son droit à se défendre face à l’agression armée de groupes armés non étatiques palestiniens. C’est le cas le 22 février dernier, lorsque onze Palestiniens sont tués par l’armée israélienne au cours d’un raid mené à Naplouse, en Cisjordanie. Les autorités israéliennes affirment mener des « opérations antiterroristes » contre des groupes armés. L’agression armée est « l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État » (AGNU, résolution 3314, 14 décembre 1974). En 2004, la Cour affirme qu’« Israël ne prétend pas que les violences dont il est victime soient imputables à un État étranger », faisant dire aux juges que « l’article 51 de la Charte est sans pertinence au cas particulier (la construction du Mur) ».

Dès lors se pose la question de savoir si les attaques de groupes palestiniens s’apparentent à une agression armée, justifiant l’invocation de l’article 51 par Israël. La pratique de ces deux dernières décennies plaide en faveur d’une évolution de la notion d’agression armée, afin d’intégrer les attaques provenant de groupes armés non étatiques. Il serait donc possible pour Israël d’invoquer la légitime défense en réponse à une agression armée de ces groupes palestiniens. Cependant, la riposte israélienne doit respecter les conditions de nécessité et de proportionnalité. La nécessité implique pour l’État agressé de ne pas avoir d’alternatives à la riposte armée, qui doit être dirigée contre des objectifs militaires. Enfin, les mesures armées doivent être proportionnelles au but recherché (mettre fin à l’agression armée). L’importance des pertes civiles palestiniennes, la destruction de nombreuses habitations civiles et le ciblage des structures éducatives, humanitaires et médicales laissent douter du respect de ces deux exigences par Israël.

Enfin, même si un droit à la légitime défense vient à être reconnu à Israël, cela ne peut justifier les violations du droit international dans le cadre de l’occupation militaire.

c) Le corpus juridique applicable à l’occupation israélienne (jus in bello et DIDH)

Dans sa décision de 2004, la Cour revient sur les arguments avancés par Israël mettant en cause l’applicabilité de certaines règles du droit humanitaire et des conventions relatives au droit international des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé.

Le premier corpus juridique invocable concerne le DIH. Bien qu’il ratifie la quatrième convention de Genève en 1951, Israël conteste son applicabilité de jure au territoire palestinien, sous prétexte que l’article 2, paragraphe 1er, précise que ladite Convention s’appliquerait seulement en cas d’occupation de territoires relevant de la souveraineté d’un autre État contractant. Néanmoins, la Cour s’appuie sur le paragraphe 2, du même article qui stipule que « la convention s’appliquera également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractant […] ». Pour la Cour, ce paragraphe n’a pas pour objet de limiter le champ d’application de la convention. Donc, celle-ci s’applique même sur les territoires ne relevant pas de la souveraineté de l’un des États parties. Cette interprétation extensive de l’application des règles de la convention reflète la volonté des rédacteurs de protéger les civils se trouvant sous le contrôle d’une puissance occupante, peu importe le statut des territoires occupés.

Depuis, la question ne se pose plus, la Palestine ratifiant les quatre Conventions de Genève et ses protocoles additionnels entre avril 2014 et janvier 2015.

Toujours en ce qui concerne le DIH, bien qu’Israël ne soit pas un État partie à la quatrième Convention de La Haye de 1907 – à laquelle est annexé le règlement relatif aux lois et coutumes de la guerre sur terre – la Cour considère que ses dispositions ont un caractère coutumier et les règles inhérentes au régime de l’occupation fixées par cette Convention sont donc applicables à Israël.

Le second corpus juridique invocable concerne le DIDH et l’application de certaines conventions relatives aux droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé. D’après Israël, le DIDH ne peut s’appliquer en temps de conflit armé. Dès lors, il rejette l’application du pacte relatif aux droits civils et politiques et du pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, en soulignant que leur application est de la responsabilité du gouvernement au pouvoir en Cisjordanie et à Gaza. Israël précise que « le droit humanitaire est le type de protection qui convient dans un conflit tel que celui qui existe en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tandis que les instruments relatifs aux droits de l’homme ont pour objet d’assurer la protection des citoyens vis-à-vis de leur propre gouvernement en temps de paix » (avis de 2004).

La Cour écarte cet argument et considère – et il s’agit de sa jurisprudence constante – que les conventions relatives aux droits de l’homme continuent de s’appliquer en temps de conflit armé (CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo, Arrêt, 19 décembre 2005), sauf dans les cas où des clauses dérogatoires s’appliqueraient.

C’est sur la base des règles pertinentes du DIH et du DIDH que la Cour doit établir les violations israéliennes du droit international.

d) Les violations par Israël d’obligations du droit international

Déjà en 2004, la Cour affirme qu’Israël viole un certain nombre d’obligations du DIH et du DIDH, empêchant le peuple palestinien de s’autodéterminer. Elle ajoute que ces violations découlent notamment de l’adoption d’un ensemble d’actes législatifs et réglementaires israéliens. Vingt ans plus tard, les autorités israéliennes continuent de ne pas respecter le droit international, en favorisant le développement de la colonisation et de l’annexion du territoire palestinien, et cela en dépit de l’adoption de nouvelles résolutions par le Conseil de sécurité exigeant « d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé » (CSNU, résolution 2334, 23 décembre 2016). Aujourd’hui, la Cour doit également se prononcer sur la persistance de l’occupation militaire israélienne. En effet, le régime de l’occupation repose sur une atteinte à la souveraineté territoriale. Aucun titre de souveraineté ne saurait être reconnu à la puissance étrangère du fait de son occupation (article 4, Protocole additionnel I aux Conventions de Genève). Cette atteinte ne doit pas être permanente et ses effets limités dans le temps. Cependant, l’occupation israélienne perdure depuis plus de 55 ans et celle-ci devrait se maintenir. Dès lors, la Cour devrait certainement se prononcer sur les conséquences de la prolongation de cette occupation, qui pourrait se transformer à terme en une annexion totale de la Cisjordanie.

Enfin, la question des réparations sera également traitée, Israël étant tenu à une obligation de réparation des dommages causés aux personnes concernées par l’occupation. Ces réparations doivent « autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » (Affaire du Mur). En l’espèce, l’État hébreu devrait donc se retirer du territoire palestinien et cesser le blocus total qu’il impose à la bande de Gaza. Enfin, il doit restituer aux Palestiniens les terres et autres biens saisis ou les indemniser si la restitution est impossible.

Même si la Cour met de nouveau en exergue les violations israéliennes, le contexte politique israélien n’augure pas de changement dans le respect des règles juridiques invoquées.

e) Les obligations erga omnes invocables en l’espèce

Certaines de ces obligations sont des obligations erga omnes. Cela signifie qu’elles concernent tous les États qui ont « un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés » (CIJ, Barcelona Traction, arrêt, 5 février 1970). Les obligations erga omnes visées en 2004 sont les obligations de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et un certain nombre de règles du DIH, qui sont « si fondamentales pour le respect de la personne humaine […] qu’elles s’imposent […] à tous les États […] » (CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996).

Comme en 2004, lorsque la Cour affirme que les États ont l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur, elle devrait là encore affirmer que tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître l’occupation, la colonisation et l’annexion prolongées par Israël du territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est. L’obligation de non-reconnaissance d’une situation illicite devrait s’ajouter à l’obligation « de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation » (Affaire du Mur), qui empêche le peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination. Enfin, les États doivent « faire respecter par Israël le droit international humanitaire ».

Cette fois-ci, la Cour pourrait aller plus loin en précisant que depuis son avis de 2004, l’obligation pour les États de faire respecter par Israël le DIH n’est pas remplie, eu égard à l’accélération de la colonisation et de l’annexion de la Palestine (d’après le Conseil de Yesha, organisation israélienne regroupant les colonies du territoire palestinien, en 2022, près de 500 000 colons israéliens sont établis en Cisjordanie et 220 000 à Jérusalem-Est) et aux violations répétées des droits fondamentaux de la population palestinienne.

En conclusion, la décision à venir des juges devrait permettre de mettre de nouveau en avant le conflit israélo-palestinien et le cadre juridique applicable, dans un contexte politique dégradé lié à l’accélération de l’occupation israélienne. Si en 2004, la Cour soulève déjà les nombreux problèmes juridiques liés au conflit, de nouvelles questions devraient se poser, en raison de la permanence de cette occupation, qui prend la forme d’une annexion du territoire palestinien. Les questions soulevées par l’AGNU sont donc plus larges. Elles viennent également confirmer l’appui politique de l’organe au processus de judiciarisation entamé par l’Autorité palestinienne en 2004, malgré les menaces et les sanctions israéliennes. Cependant, ce processus ne devrait pas se traduire par un changement de la situation sur le terrain, pis encore, ces vingt dernières années sont marquées par une détérioration importante du respect des droits fondamentaux du peuple palestinien, liée en partie à la radicalisation du gouvernement israélien.